Le Dossier Zana et son appartenance hypothétique à une population de Néanderthaliens reliques a fait couler beaucoup d’encre dans le milieu de la Cryptozoologie et de sa sous-branche l’Hominologie depuis les années 60 et surtout depuis la publication du livre de Bernard Heuvelmans et Broris Porchnev en 1974 « L’Homme de Néanderthal est toujours vivant ». Elle fut même considérée à cette époque comme la preuve possible de la survivance de Néanderthaliens dans les montagnes du Caucase en tout cas jusqu’à une époque récente….
L’histoire de Zana
Rappelons les faits tels que le Pr. Boris Porchnev le rapporte dans l’ouvrage ci-dessus…
Zana a vécu, est morte et a été enterrée dans le hameau de Tkhina, dans le district d’Otchamtchir vers 1890. Dans les années 1960-1970 parmi les habitants du hameau ou de ses environs il y en avait plus de dix, toujours en vie, qui avaient assisté à son enterrement.
Ceux qui avaient alors dépassé quatre-vingts ans, et a fortiori plus de cent ans (nous sommes dans la région où des gens auraient atteint les 130-140 ans), ont connu Zana pendant longtemps.
Selon ces centenaires le lieu et la date de la capture de l’abnaouaïou (autrement dit l’Almasty) en question sont obscurs. Suivant une des versions, on l’aurait attrapée dans les forêts des monts Zaädan, mais selon une autre, ce n’était pas loin de la côte maritime de l’actuel district d’Otchamtchir, ou encore plus au sud, dans l’Adjarie actuelle.
Le nom de Zana plaide en faveur de l’Adjarie : il ressemble en effet au mot géorgien zangi, qui signifie « à peau foncée », « nègre * ».
Il est bien possible qu’elle ait été revendue à plusieurs « propriétaires » avant de devenir la propriété du noble Edghi Ghénaba à une date inconnue.
Selon le Pr. Boris Porchnev, au début Ghénaba avait installé Zana dans un enclos très solide, fait de gros pieux verticaux où elle avait creusé un trou dans le sol pour y dormir. Elle demeura ainsi trois ans dans un état de sauvagerie totale. Mais elle s’apprivoisa peu à peu, au point qu’on finit par la transférer dans un enclos en branches tressées, sous un auvent, un peu à l’écart de la maison où elle était tenue en laisse, plus tard on lui permit de sortir en liberté.
Selon la description que firent ceux qui la connurent, la peau de Zana a été décrite comme noire ou gris foncé. Elle était couverte, de la tête aux pieds, de poils noirs roussâtres surtout abondants sur le bas du corps.
Par endroits, ces poils étaient aussi longs que la largeur d’une paume, mais ils n’étaient pas très denses. Au niveau des pieds les poils disparaissaient presque totalement : la plante du pied était glabre. Sur le visage ils étaient très clairsemés et courts. En revanche, sur la tête s’élevait une masse de cheveux complètement feutrés, tout à fait noirs, luisants et rêches, qui formaient comme une papakha (gros bonnet de fourrure) et retombaient en crinière sur les épaules et le dos.
Zana n’était pas douée d’un langage humain. Au cours des dizaines d’années qu’elle a vécu à Tkhina, elle n’est jamais parvenue à prononcer le moindre mot d’abkhazien. Elle ne pouvait que marmonner, émettre des sons inarticulés, et, une fois irritée, des hurlements incompréhensibles. Elle avait l’oule fine : elle s’approchait dès qu’elle entendait prononcer son nom, exécutait les quelques ordres que son maître lui donnait, et avait peur quand celui-ci élevait la voix.
Elle était de très grande taille, massive et trapue. Elle avait les seins disproportionnellement volumineux. Son derrière était gros et haut placé. Ses membres étaient très musclés, mais sa jambe avait une forme étrange : elle était privée de mollet *. Les doigts de ses mains étaient plus épais et plus longs que ceux des humains. Ses orteils avaient la capacité de s’étaler en éventail (en particulier quand elle était en colère). C’était le gros orteil qui s’écartait le plus des autres.
Le visage de Zana était extraordinaire : il faisait peur. Il était large, avec des pommettes saillantes et des traits grossiers. Le nez, aux grandes narines retroussées, était épaté. La partie inférieure du visage proéminait presque comme un museau. La bouche était largement fendue, les dents grandes. La nuque saillait de façon anormale. Sur le front fuyant, les cheveux partaient déjà des sourcils, qui étaient broussailleux et épais.
Les yeux avaient une nuance rougeâtre. Mais ce qu’il y avait de plus terrible, c’était l’expression de ce visage, une expression qui n’avait rien d’humain mais était purement animale. Parfois, encore que rarement, Zana était saisie d’accès de fou rire inattendus, au cours desquels elle découvrait largement ses dents blanches. Personne ne l’a jamais vu sourire ou pleurer.
Zana n’a pu apprendre que peu de chose des hommes. Elle ne s’est jamais apprivoisée qu’à moitié et a gardé la majorité de ses comportements animaux. Même l’hiver, elle préférait rester nue, telle qu’on l’avait capturée dans la forêt. Elle déchirait les vêtements en lambeaux, dès qu’on l’en recouvrait. Zana ne s’est jamais humanisée.
Il n’empêche qu’elle est devenue mère de bébés humains des œuvres de ses propriétaires successifs, dont 4 sont arrivés à l’âge adulte, et c’est assurément là l’aspect le plus surprenant de son histoire. Voilà qui est évidemment capital au point de vue génétique.
Deux fils et deux filles de Zana sont donc devenus des êtres humains adultes, des humains à part entière, doués de parole et de raison.
Bien des gens de la région se souviennent de Gamassa et de Khvit, deux de ses 4 enfants, et les décrivent en détail.
Les gens du village décrivent Khvit, mort entre soixante-cinq et soixante-dix ans, comme un homme ne s’écartant que faiblement de la normale. Bien qu’il eût la peau foncée et les lèvres épaisses, il se différenciait de la race négroïde par ses cheveux raides et lisses. Il avait la tête petite par rapport au corps. Il était doté d’une force physique absolument phénoménale et d’un caractère irréductible : violent et bagarreur. Il se maria deux fois et laissa trois enfants. A sa mort, il fut enterré à côté de la tombe de sa mère, Zana.
D’après les récits, Gamassa était, comme son frère, deux fois plus forte que les femmes ordinaires. Sa peau était également très foncée et elle avait le corps velu.
Son visage était glabre, mais quelques poils lui garnissaient tout de même le pourtour des lèvres. Gamassa vécut jusqu’à la soixantaine.
La question qui restait à éclaircir était de savoir si Zana, considérée par les villageois comme une Abnaouaïou, autrement dit une Almasty, était bien une Néanderthalienne relique, ce que supposait Boris Porchnev. Mais pour cela, il fallait retrouver sa tombe afin de déterminer si son squelette avait les caractéristiques morphologiques des Néanderthaliens, rappelons que dans les années 50-60 du siècle dernier l’analyse génétique n’existait pas encore.
La tombe de Zana
Le Pr Boris Prochnev tenta en septembre 1964 de retrouver la tombe de-Zana.
Une deuxième tentative fut donc faite en mars 1965.
En octobre 1965, cependant, Porchnev retourne une troisième fois à Tkhina, où Zana est décédée vers 1890. Nouvel échec.
La tombe de son fils, Khwit, a cependant été identifiée en 1971.
Après plusieurs tentatives pour localiser le lieu de sépulture de Zana, les restes d’une femme anonyme ont été découverts dans le cimetière familial de Genaba, ce qui laisse supposer qu’ils pourraient avoir appartenu à Zana elle-même
Les génomes de la femelle inconnue et de Khwit ont été séquencés.
Finalement, Zana était-elle une Néanderthalienne ?
Bien qu’une analyse antérieure de la séquence d’ADNmt de Khwit par le généticien Bryan Sykes ait révélé l’origine maternelle de « Zana » comme africaine, Ashot Margaryan & al., les auteurs d’une nouvelle étude qui vient d’être publiée sur https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/ggn2.10051 , ont suggéré que « Zana » aurait pu appartenir à une ancienne lignée africaine, mais il manque un ensemble complet de données comparatives approprié à cette époque.
Suggérant une relation parent-enfant, grâce aux ADNmt identiques, l’étude indique que le squelette féminin inconnu était la mère de Khwit, et peut donc être identifié positivement comme Zana.
Les résultats montrent clairement que Zana n’est ni génétiquement proche des humains archaïques ni du chimpanzé, dont les ADNmt avaient été choisis pour comparaison, mais était en rapport étroite avec des populations humaines modernes.
Conclusion
On doit donc rejeter l’hypothèse selon laquelle l’échantillon hypothétique « Zana » avait une origine ancienne ou archaïque et rejeter également clairement toute hypothèse selon laquelle Zana était d’origine « non sapiens ».
Au contraire, il est clair qu’elle partageait l’ascendance génétique avec les populations d’Afrique occidentale et orientale actuelle, sans contribution génétique significative des populations d’Afrique australe, septentrionale et centrale.
Cela suggère que sa présence dans la région pourrait avoir été liée à la traite des esclaves de l’Empire ottoman à Istanbul, qui était l’une des principales plaques tournantes de la traite des esclaves dans la région au XIXe siècle. De plus, l’ascendance en grande partie d’Afrique orientale de Zana est cohérente avec les archives historiques indiquant que la plupart des esclaves africains de l’Empire ottoman étaient originaires des régions des Grands Lacs africains et du Soudan actuel.
Les auteurs de l’étude supposent que Zana pourrait avoir été atteinte une maladie génétique telle qu’une hypertrichose congénitale généralisée qui pourrait expliquer en partie son comportement étrange, son manque d’élocution et ses longs poils.
Cela dit, cette étude ne remet en aucune façon en cause le dossier de l’Almasty qu’il ne faut pas réduire au cas de Zana et en conclure que tous les Almasty sont d’ascendance africaine et atteints d’hypertrichose.
Il y a cependant des points qui restent à éclaircir : quand les ancêtres de Zana ont-ils quitté l’Afrique, par quelle route ? Que faisait Zana dans cette forêt où, selon le récit des anciens, elle fut capturée ? Fut-elle abandonnée enfant en raison de son hypertrichose et est-elle devenue ainsi une enfant ensauvagée, à l’instar de Victor de l’Aveyron ? Combien d’années y a-t-elle vécu et comment ?
Il y a certainement matière à de nouvelles études…
Si le dossier Almasty et Néanderthalien relique est à présent définitivement fermé en ce qui concerne ses origines génétiques, celui de Zana ne l’est certainement pas…